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Gurutze Irizar a vécu la première guerre du Sahara occidental: «Il y avait des restes déchiquetés d’êtres humains partout, c'était incroyable, un véritable génocide»


Traducido por  Jacques Boutard
Editado por  Fausto Giudice /Tlaxcala 

Bilbao (ECS). - Gurutze, ou Fatimetu comme l'appellent les Sahraouis, est native du pays basque et sahraouie de cœur. Elle a connu le Sahara occidental à l’époque où c’était encore une province espagnole ; elle a été un témoin direct de l'abandon des Sahraouis par l'Espagne ; elle a connu l'exil et a souffert de la guerre avec le peuple sahraoui dont elle a partagé la vie pendant de nombreuses années.

Elle fut l'épouse du diplomate sahraoui Mohamed Salem Hadj M'Barek, dit « Paquito », avec qui elle a eu un fils et une fille. Mohamed Salem était un homme politique remarquable, , qui avait rejoint très jeune la révolution sahraouie, et a continué à travailler pour la cause de son peuple jusqu'à la fin de ses jours. Il a représenté la République sahraouie dans plusieurs pays, dont le Royaume-Uni et l'Inde jusqu'à ce qu’il soit emporté par la maladie en 2005.

 ECSAHARAUI s'est rendu au domicile de Gurutze pour parler avec elle.  Au cours de leur conversation , elle a raconté à notre collègue Taleb Alisalem, entre autres choses, ce qu'elle a vécu alors qu’elle était presque la seule femme étrangère à être présente lors du bombardement d'Oum Draiga, où l'aviation marocaine a bombardé des milliers de réfugiés sahraouis qui fuyaient vers le territoire algérien.

Où es-tu née et que te rappelles-tu de ton enfance ?

Je suis née à Ormaiztegi, un petit village de Guipuzcoa, où j'ai fréquenté l’école jusqu'à l'âge de 10 ans, puis je suis allée dans un internat à Irun. À 18 ans, je suis allée à Pampelune pour une formation d’infirmière. Une fois mon diplôme en poche, je suis allée à Madrid où j'ai commencé à travailler et à étudier la psychiatrie, mais j'avais une amie qui était partie à Tenerife et elle m'a appelée pour me dire que c'était très bien là-bas. Sans réfléchir, j'ai accepté et j’y suis allée.

Un jour je t’ai entendu dire : « La vie a fait que j’ai rencontré des Sahraouis à Tenerife. J'ai commencé à m'impliquer et j'ai épousé leur cause ». Quelles circonstances t’ont amenée à rencontrer les Sahraouis ?

En arrivant à Tenerife, j'ai commencé à travailler à l'hôpital universitaire. Il y avait une école d'infirmières où étudiaient un groupe de jeunes Sahraoui·es. Nous nous croisions parfois à l'hôpital, mais je ne les connaissais pas, jusqu'à un soir où nous sommes sorties dans Tenerife et nous les avons rencontrés. Parmi ces jeunes se trouvait Mohamed Salem.

Tout cela se passait en 1973. À cette époque on ne parlait pas du tout du Sahara Occidental, Franco était bien vivant et le Sahara n’était qu’une province espagnole de plus, mais il est vrai que de temps en temps j'entendais les garçons parler des événements dans leur pays, et des mouvements nationalistes... et c'est là que j'ai commencé à m'impliquer avec eux.

Je me souviens qu’aux Canaries, nous allions voir les prisonniers sahraouis détenus en raison de leurs manifestations et de leurs actions contre le colonialisme espagnol.

Quand es-tu arrivée pour la première fois au Sahara, qui était à l'époque une colonie de l'Espagne, et comment s'est passé le premier contact avec la famille de Mohamed Salem, pour toi comme pour eux ?

Pendant l'été 1973, je me souviens qu’on a diagnostiqué une maladie à Mohamed Salem, et que ses parents et ses sœurs sont venus le voir à Tenerife. Plus tard, au cours de l'été 1974, je suis allée à El Ayoun, au Sahara occidental, et j'ai rencontré le reste de la famille.

J'ai été bien reçue, et Mohamed Salem est aussi venu chez moi, dans  ma famille, à l’occasion de quelques repas de Noël, et cela s'est bien passé entre les deux familles.

Te rappelles-tu comment se sont passés tes derniers jours au Sahara occidental, et  la fuite des Sahraouis vers l'Algérie ?

En 1975, on a reçu la visite du comité de décolonisation de l'ONU au Sahara Occidental, et là nous avons pensé que l'ONU allait trouver une solution. Pauvres innocents que nous étions, nous pensions que les Nations Unies allaient résoudre la question.

Plus tard, il a été question des revendications d'Hassan II sur le Sahara Occidental, il a été question de la "marche verte", mais en octobre de cette même année, le Sahara Occidental était toujours territoire espagnol. Le roi Juan Carlos a visité le Sahara et nous a dit : « Nous ne vous laisserons pas seuls... ». Le 14 novembre, juste un mois après cette visite, le Maroc a commencé son invasion du Sahara Occidental.

Le 20 novembre de cette même année je suis partie et je me suis rendue dans la région d'Oum Draiga, au nord du Sahara occidental, près de la frontière algérienne. À Oum Draiga il y avait un camp de base où étaient accueillis tous les réfugiés sahraouis qui fuyaient les villes sahraouies déjà occupées par l'armée marocaine.

Derrière la fameuse « Marche Verte » dont on nous montre les images venait la marche noire, l'armée marocaine, avec ses chars et ses militaires. Lorsqu'ils entraient dans les villes sahraouies, les gens s'enfuyaient à toutes jambes. À Oum Draiga, où je me trouvais, nous ne soignions pas seulement les réfugiés qui arrivaient blessés ou malades, mais aussi les soldats sahraouis blessés au combat. Nous n'avions pratiquement pas de matériel. J'ai toujours été infirmière, mais j'ai travaillé dans des hôpitaux où nous avions des équipements, mais là-bas, nous n’avions rien, il fallait faire avec ce qu’on avait.

Comment se sont passés les bombardements sur le camp de base d'Oum Draiga ?

Nous avons été réveillés le matin par le bruit des bombardements, mes camarades criaient : « Cachez-vous, cachez-vous ! ». Je me suis demandée où nous pouvions nous cacher. Nous étions en plein désert et les avions marocains ont commencé à arriver... un, deux, trois... ils ont bombardé toute la matinée comme des fous.

Chaque fois que j'y pense, je me dis que c’est un film que j'ai vu à la télé. Quand les bombardements se sont arrêtés, il y avait partout des membres humains arrachés, des blessés, et nous n'avions qu’un pansement et une  bande de gaze . C'était incroyable, un vrai génocide.

Quel est le moment le plus difficile que tu aies vécu ?

Je ne parlerais pas d’un moment, mais d’une situation. Tu as des sentiments mitigés. Dis-toi qu'à l’époque j'avais 25 ans, qu’à cet âge-là, on est encore idéaliste, et on pense qu' « un monde meilleur est possible », mais en même temps on se demande comment un criminel comme le roi du Maroc Hassan II peut s'en tirer en toute impunité. Je pensais que ce n'était pas possible, que le monde allait l'arrêter. - Gurutze se tait quelques instants - quand on est jeune, on est très idéaliste, mais ensuite la vie te donne suffisamment de coups de pied pour te montrer que ce n’est pas aussi simple.

Tout ça me semblait très injuste. Il me semblait très injuste que ces gens meurent à la guerre, dans les bombardements ou à cause de l’épidémie de rougeole qui a tué beaucoup d'enfants par faute de moyens.

Il ne s’agissait pas d’un moment précis, mais d’une situation absolument injuste, et le monde restait indifférent. Nous étions parqués dans ce désert. Des tas de gens venaient, dont de nombreux journalistes, mais personne ne faisait rien. Je me demandais si le monde pouvait vraiment tolérer ce génocide.

Je me souviens aussi de moments très durs, quand des amis sont tombés, des gens que j'avais connus. Oui, c'était des moments très durs.

Malgré ce drame humanitaire et la dureté de tout ce que tu as vécu avec le peuple sahraoui, as-tu conservé des souvenirs de moments heureux ?

Je ne vivais pas ça comme un drame parce que nous étions tous dans le même bateau, je n'étais pas une exception, j'étais juste un membre de l’équipe. Je n'avais plus peur de la mort parce que si nous mourions, nous serions plusieurs à mourir, je n’étais pas la seule.

Je me souviens d’avoir accompagné un camion transportant des blessés sahraouis vers les camps situés en territoire algérien. À Rabouni, au sud de Tindouf, j’ai retrouvé Mohamed Salem qui accompagnait un groupe de journalistes. La nuit même il m'a demandé en mariage, « parce que si je meurs, au moins que nous ayons eu le temps de nous marier ». Nous avons monté une tente, et avec quelques amis, nous avons célébré une noce expresse au beau milieu de ce désert. À 5 heures du matin nous étions déjà en train de démonter la tente et de nous cacher de l'aviation marocaine qui allait commencer à nous bombarder dès le matin.

Je me souviens aussi de beaucoup de bons moments, de moments heureux, avec des amis, surtout des gens plus âgés. J'ai beaucoup appris d'eux, je me souviens de conversations qui duraient des heures et des heures. Oui, nous avons été heureux, malgré tout ça, je me souviens de moments heureux.

Le 13 novembre dernier, la guerre a de nouveau éclaté au Sahara occidental après 30 ans de paix. Comment l'as-tu vécu et qu’en penses-tu ?

Je suis tout à fait consciente de ce que signifie la guerre, et ceux d'entre nous qui ont vécu la guerre savent que la guerre tue, que des gens meurent à la guerre. Mais je comprends parfaitement qu’il ne peut pas se passer des années et des années sans que le conflit au Sahara Occidental soit résolu. Il est clair que l'ONU ne va rien faire. Le Maroc se sent très à l'aise grâce à l’appui de la France ainsi qu’au soutien absolu de l'Espagne, donc je comprends que le Maroc à lui tout seul ne va rien faire pour changer la situation. C'est pourquoi je comprends et je respecte la reprise de la guerre, parce que je crois qu'il n'y a pas d'autre option.

Comment juges-tu la position du gouvernement espagnol au fil des ans ?

L'État espagnol est entièrement responsable. L'Espagne reste  la puissance administrante du Sahara Occidental, mais bien sûr, personne ici [en Espagne] n’en dit rien, de fait, ils parlent de l'ex-colonie, de l'ex-Sahara Espagnol... Désolée, « ex »- rien du tout, le Sahara Occidental est toujours légalement espagnol, et l'Espagne a l'obligation légale d'assumer sa responsabilité.

À titre personnel, je pense que si en Espagne on ne soutient les Sahraouis que pour des raisons de « solidarité » ou « humanitaires », je pense qu’on ne fait rien, parce que c'est un problème politique qui doit recevoir une solution politique. L’assistance humanitaire, c'est très bien, mais cela ne peut en aucun cas se substituer à l’exigence que le gouvernement espagnol assume sa responsabilité politique envers le Sahara Occidental.

Je pense que les partis politiques qui ont gouverné l’Espagne n'ont pas voulu résoudre ce problème, et, sachons-le, nous n’avons pas à le leur « demander », ou à les en « supplier ». C'est leur devoir, ils doivent assumer leurs responsabilités. Parce qu'à nous, les citoyens, on nous demande de respecter la loi, la légalité, mais eux, la respectent-ils au Sahara Occidental ?

Gurutze, quel message souhaiterais-tu adresser au peuple sahraoui, et comment penses-tu que ce conflit va se terminer ?

Je veux leur dire de continuer, de continuer à se battre. Je leur dis d'avoir du courage et d’être forts, je leur demande de résister.

Je pense que ce conflit doit se terminer d'une manière ou d'une autre, j'aimerais qu'il se termine par l'indépendance, car je ne vois pas d'autre option. Le peuple sahraoui doit résister. Je sais que ce ne sera pas facile, cela n'a pas été facile jusqu'à présent, mais je crois sincèrement que le Sahara sera libre un jour. Sinon, tout ce sang versé l’aura été pour rien ? Tous ces gens qui ont donné leur vie, ce serait pour rien ? Ce sera sans doute très difficile, mais je veux croire que l'indépendance arrivera un jour.


Gracias a: Tlaxcala
Fuente: https://www.ecsaharaui.com/2021/04/gurutze-vivio-la-primera-guerra-del.html?m=1
Fecha de publicación del artículo original: 06/04/2021
URL de esta página en Tlaxcala: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=31298

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